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  • 26 novembre 2008

    L'anguille (contribution sociologique)

     

    La vie regorge d'occasions de se réjouir. Un beau coucher de soleil, le sourire d'un enfant, une soirée entre amis, une grasse matinée au calme, se blottir dans les bras de l'être aimé, un café aux arômes savoureux qui ponctue la journée, une musique qui vous émeut aux larmes, une soirée au coin du feu, un film de Christophe Lambert... C'est si simple...

    La vie regorge aussi d'occasions de se mortifier ; je ne m'attarderai pas davantage et vous épargne une litanie par trop funeste. J'avais déjà évoqué dans un billet précédent le cas du boulet qui se plait à vous encombrer inutilement l'existence (oui, je suis très fier de ce billet... Bé quoi ? J'ai le droit d'aimer parfois ce que je fais non ?). Hé bien je crois avoir décelé un autre prototype d'énergumène qui peut pousser un Tambour Major - ou un congénère humain - au suicide : l'anguille.

    Hormis chez les amphitryons amateurs de bonne chaire qui l'aiment grillée ou en sauce, ce poisson amphihalin thalassotoque, benthique et lucifuge vous diront les spécialistes, n'a pas très bonne presse. Tout d'abord, il ressemble furieusement à un serpent, ce qui n'est pas la première des qualités pour nous autres, occidentaux. Souvenons nous ensemble de la mésaventure d'Adam et Eve qui nous enseigne qu'il faut se méfier de cet animal sournois et tentateur, cause du malheur des hommes alors qu'on pourrait se la couler douce au Paradis.  

    Outre la tradition judéo-chrétienne qui voit dans l'anguille, par association avec le serpent, un animal repoussant, d'autres cultures ne sont pas moins tendre avec elle. Jugez en plutôt : dans la mythologie Celte, la déesse de la guerre, furieuse de ne pas être aimée du beau héros, se transforme en anguille et se venge en s'aggripant à sa cuisse, le mordant toutes dents dehors. La sale bête !! En Polynésie, une autre légende raconte que le premier cocotier vient de la tête d'une horrible anguille à qui l'on voulait marier la fille du soleil et de la lune. Heureusement, un beau et preu chevalier décapita le reptile dont la tête fut abandonnée sur le sable. Je simplifie un peu mais c'est l'idée générale. Vous irez chercher vous-même. Vais pas non plus faire tout le boulot non ?

    Bon,trève de blabla, revenons à notre étude...

    A quoi reconnaît on une anguille ? Nous dirons qu'il s'agit d'un individu a priori normal, et qu'une observation rapide de son comportement en biotope urbain ne permet de le distinguer d'un autre. A priori seulement car, après quelques heures de pratique, on se rend compte que notre anguille présente l'aptitude toute particulière de pouvoir allègrement serpenter en eaux claires comme en eaux vaseuses et d'y mener ses petites affaires tambour battant (non, ce n'est pas un jeu de mot). De serrage de mains en léchage de culs, voire suçage de bites (ce sont des images...) notre anguille vogue au gré de ses intérêts, se faufilant à travers les paniers de crabes les plus infréquentables, pratiquant ici ou là avec une virtuosité qui frise l'indécence ou qui, c'est selon, suscite l'admiration, le "pousse-toi-de-là-que-je-m'y-mette". 

    Si l'anguilla vulgaris doit son agilité à l'épaisse couche de mucus dont son corps est recouvert et qui la rend si désagréable à manipuler (rappelez-vous cette séquence mémorable de la cultissime émission "La Cuisine des Mousquetaires" - dont je conserve le souvenir ému - où l' inénarrable Maïté tente de trucider une anguille à l'aide d'un gourdin et que l'animal lui file entre les doigts...), l'anguille qui nous occupe aujourd'hui doit son agilité à sa viscosité intellectuelle... Non content de vous faire un bras d'honneur à la moindre occasion qui lui permette de continuer sa médiocre ascension sociale sans honneur, l'anguille arbore presque toujours un sourire de façade et pratique au besoin la courbette et le baiser de main, n'hésitant pas à gratifier de son indispensable personne toute mondanité où il sera susceptible de séduire un esprit assez faible pour ne pas lire dans son jeu, à moins qu'il ne tombe sur plus fort que lui : une autre anguille de plus forte carrure qui voit en ce jeune leptocéphale inoffensif un serviteur dévoué et docile qu'il pourra presser comme un citron et jeter à la poubelle lorsqu'il sera desséché, flétri par l'usage, mais ravi de pouvoir servir dans l'ombre d'un plus grand, inconscient du drame qui se trame au dessus de lui... La loi du plus fort est toujours la meilleure chez les prédateurs. Bouffer ou être bouffé, telle est la règle du jeu.

    Vous l'aurez compris, si je brosse à grands traits les caractéristiques d'une anguille c'est que j'en ai une qui gravite dans mon sillage, tapie derrière les apparences d'un collègue inoffensif. Sauf qu'elle ignore qui est le Tambour Major qui, fort de quelques années d'expérience, écoute beaucoup mais parle assez peu, de sorte que je sais pas mal de choses qu'on me dit innocemment alors que je ne demande rien. D'autant que chacune de ces information est intrinsèquement inoffensive, ce qui ne pousse pas à la discrétion de mes interlocuteurs, à ma plus grande satisfaction.

    Mon anguille se présente donc sous la forme d'un médiocre doctorant d'une grande faculté de la ville où j'officie régulièrement et avec lequel j'ai le bonheur de coopérer. Je l'avais rencontré voici déjà 3 ou 4 ans alors que j'étais jury d'un concours administratif. 

    Le bonhomme m'avait alors paru assez sympathique quoique grande gueule, la ramenant un peu tout le temps, étalant sa science comme on étend du Nutella sur une crêpe encore chaude : largement. De taille moyenne, plutôt maigrichon, le visage osseux et les cheveux plaqués en arrière sous l'effet d'une surdose manifeste de gel finition brillant, mon anguille (que j'appellerai Igor) a le chic pour s'habiller de vêtements venus d'un autre âge... Pull jaune poussin, cravates comme personne hormis les Deschiens n'en a porté ces 20 dernières années, costumes un rien trop larges qui lui donnent l'air d'un gamin qui fait mumuse avec les fringues de son papa et joue à être un grand, je vous résume là l'essentiel pour le total-look, Igor est ... ridicule ? Non pas exactement... il est presque ridicule. 

    Autre trait de personnalité de Igor l'anguille, sa façon de parler. Igor aime s'écouter parler et faire des phrase inutilement léchées, même - et surtout ? - lorsque le protocole n'a plus lieu d'être et que la confraternité laisse place à des conversation aux accents gaulois. Coincé du cul ? Peut être... Il est vrai que la sexualité de l'anguille interroge encore les scientifiques. Bref, notre anguille à nous vous adressera toujours la parole comme si vous étiez Henri IV et traversera volontiers la rue pour vous gratifier de ses salutations poussives, ou tentera le diable pour braver la foule compacte d'une salle de cocktail comble pour venir vous importuner alors que vous étiez en bonne compagnie et que, faux-cul, vous faisiez mine de ne pas l'avoir vu... 

    Mais c'était sans compter sur son sens aigu du relationnel. Igor s'approchera alors de vous, s'immiscera subrepticement et sournoisement dans une conversation à laquelle il n'était pas convié, et finira par vous causer de choses dont vous n'avez rien à foutre, tandis que votre estomac se retourne sous l'effet conjugué de sa présence et de son haleine fétide. Car, oui, Igor pue de la gueule... Je ne sais pas si c'est de l'acidité gastrique ou un manque d'hygiène buccale (qui a dit les deux ?), mais je vous assure que c'est une raison supplémentaire, voire une bonne raison tout court, pour ne pas le laisser s'approcher. L'autre jour, j'ai bénéficié d'un moment de joie intense, proche de l'orgasme : j'ai grillé une anguille...

    Nous sommes un soir de grande mondanité dans une Vénérable Institution Toulousaine dont la pureté d'âme présumée fera rire quiconque connaît le dessous de quelques cartes. Mais ce n'est pas le propos de ce jour. Bref, nous sommes au moment du cocktail de réception, tout ce que la Ville Rose compte en huiles se trouve réuni là et en ma qualité de bras droit d'un des Big Boss, je me devais d'être présent. Igor était aussi de la partie, pour une raison que je n'ai toujours pas comprise étant donné qu'il n'a strictement RIEN à voir avec cette Vénérable Institution Toulousaine, qu'il ne travaille pas pour elle, ni ne fait partie d'aucun de ses comités directeurs. La seule raison que je puis trouver c'est la présence des huiles et la possibilité qui lui est alors donnée - sur sa propre invitation spontanée - d'astiquer quelques rectums d'un revers de langue appliqué dont il a le secret (c'est peut être là la raison de son haleine de teckel eczémateux ?). 

    De par mes fonctions, et en représentation, j'étais en train de discuter très simplement avec le Président d'une juridiction Toulousaine et son confrère de la Chambre Régionale des Comptes qui m'avaient alpagué le plus jovialement du monde, lorsque je vis se faufiler entre deux plateaux de petits fours, l'anguille et son épouse (elle aussi de cette espèce). J'observe les deux compères louvoyer habilement entre deux importuns faisant obstacles avec leur coupe de champagne à la main, et les voici tout souriants au milieu de notre conversation, désirables comme deux pintades au milieu d'une autoroute à 4 voies. Monsieur le Premier était sur le point de partir alors que nous discutions de l'éventualité de déjeuner ensemble pour parler manucure et je ne voulais en aucun cas que Igor me vole la vedette. C'était moi la star...! Lorsque en un éclair (le génie ?), je lui proposai à Monsieur le Président de lui donner ma carte de visite, ce à quoi il répondit immédiatement en me tendant la sienne, le plus spontanément du monde, au nez et à la barbe de mon anguille que je vis serrer puissamment les mâchoires pour étouffer un cri de rage, fou qu'il était d'avoir échoué si près du but.

    La vie regorge d'occasions de se réjouir...

     

    3 commentairess:

    1. chimiste-méchant26 novembre 2008 à 11:18

      Griller une anguille ou larguer un boulet, autant de menus plaisirs de la vie, en effet.
      J\'en connais quelques uns dans ce style, qui laissent dans leur sillage des mucosités qu\'on impute généralement aux limaces (Desproges).

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    2. "Un film de Christophe Lambert... c\'est si simple..." : oui, le mot n\'est pas trop fort...

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    3. Bonjour Maïté, je m\'appelle Mireille Dubois et même si je suis végétarienne, je suis très heureuse de vous rencontrer enfin.
      Votre recette de l\'anguille grillée est excellente et si j\'avais encore quelques doutes, je suis maintenant convaincue que vous êtes bien un homme.

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    Bonjour, vous êtes bien chez Tambour Major.

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